CHANTER
On peut se demander, je ne sais pas, si l’homme n’a pas chanté avant de parler. S’il n’a pas d’abord sifflé pour imiter les oiseaux. S’il n’a pas tenté, avec sa voix, de rendre le bruit de la mer, des ruisseaux, de la tempête, du vent. Il existe encore dans le monde, assez rares, peu employées, un certain nombre de langues sifflées. Il y a surtout des langues chantées : parlé par plus d’un milliard d’hommes, le chinois en est une, ou n’est pas loin d’en être une. Le premier chant qui s’est élevé dans le tout vaut bien le premier rire.
Une prodigieuse carrière attendait le chant dans l’histoire du monde. La peinture, la sculpture, l’orfèvrerie, l’architecture, la gravure, tous les beaux-arts tiennent une place immense autour de l’homme et au sein de ce qu’il a fait. Le chant, qui donnera naissance à toutes les formes de la musique et de la danse, à l’opéra, qui joue un rôle si considérable dans l’histoire de la civilisation, à la chanson, qui marque de son empreinte, dénoncée par Soljenitsyne, toute l’époque romantique, moderne et postmoderne, sort, sans aucun intermédiaire, de son corps et de son âme. En ce sens au moins, il est le premier des arts.
Des hommes qui chantent autour d’un feu, la nuit, qui chantent sur les rivières ou dans les champs de coton, qui chantent parce qu’ils partent pour la guerre ou la chasse, qui chantent pour célébrer les déesses et les dieux, qui chantent pour leur amour et qui chantent pour un mort donnent une idée obscure, mais claire, de la splendeur de l’homme dans sa fragilité.
Il se fit tout à coup le plus profond silence Quand Georgina Smolen se leva pour chanter...